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La vie d'un Tulkou

Sur le site de la revue « psychologie » je suis tombé sur un article du 28 mai 2009 qui raconte la vie de Trinlay Rinpoché, reconnu comme un Tulkou. Ce terme de Tulkou est bien flou dans notre culture occidentale. J'avais déjà abordé ce sujet en vous parlant de Guendune Rinchen, reconnu comme la réincarnation de Lama Guendune Rinpoché. Peut-être que l'histoire de Trinlay Rinpoché vous éclairera un peu.





13 ans après cet article, Trinlay Rinpoché enseigne toujours le Dharma de par le monde. Vous pouvez retrouver sur YouTube un de ses enseignements donné l'année dernière à Montchardon sur l'attention et la vigilance .

L'étude du Dharma demande un peu de persévérance car il s'agit d'une série de 18 enseignements de 2 heures, mais vous pouvez commencer par écouter un extrait.😊


J’ai été un little bouddha



A 3 ans, un garçon suisse est désigné successeur de Trinlay Rinpoché, moine bouddhiste mort quelques années auparavant. Nous l’avons retrouvé vingt-cinq ans plus tard, à Paris. Il nous raconte son étonnant destin d’enfant élu.


Une silhouette d’adolescent monté en graine, qui se déplace dans les rues de Paris sur un vélo chromé ; regard bleu, sourire lumineux et, quand il parle, un léger accent dont on ne peut déterminer l’origine. Trinlay Tulkou Rinpoché est né en Suisse, d’un père français et d’une mère américaine. Mais c’est en tibétain qu’il a appris à parler : il a grandi dans un monastère bouddhiste ("Tulkou" veut dire "réincarnation" et "Rinpoché", "maître"). Le jeune homme, pas encore trentenaire, raconte avec grâce et simplicité comment, de réincarnation en réincarnation, les quelques années de sa vie actuelle ne sont que le prolongement de nombreuses décennies d’autres vies, et comment il le sait depuis toujours.

Pendant qu’elle l’attendait, sa mère, qui ne connaissait rien au bouddhisme, dit qu’elle a eu le pressentiment que son bébé aurait quelque chose à voir avec Bouddha. A la même époque, son père, un parlementaire français, s’est trouvé par hasard dans le même hôtel parisien que le seizième karmapa, un illustre maître bouddhiste en visite en Europe. Il a poussé la porte de la salle de conférences et a écouté son enseignement, qui l’a beaucoup impressionné. Le bébé est né dix jours plus tard. Ses parents ont décidé de l’appeler Ananda, du nom du cousin du Bouddha, qui signifie « aimé de tous ». Les familles française et américaine ont trouvé ça curieux, mais pour eux c’était une évidence. Ils sont devenus bouddhistes.


L’année suivante, la petite famille est partie au Sikkim, en Inde, pour rencontrer le seizième karmapa chez lui. Quand le petit garçon a aperçu le saint homme, il s’est jeté dans ses bras ! Du haut de ses 14 mois, il comprenait ce que le maître disait, en tibétain. « J’ai commencé à raconter plein de souvenirs de celui que beaucoup de membres de la communauté ont reconnu comme mon “prédécesseur” : j’étais un “tulkou”, c’est-à-dire le successeur réincarné d’un maître bouddhiste, mort deux ans plus tôt. » Sans qu’on lui demande rien, le petit s’est mis à suivre tous les principes bouddhiques, comme la non-violence ou la méditation, et à insister pour que ses parents l’emmènent prier dans les temples…

Ananda, rebaptisé Trinlay Tulkou, s’installe deux ou trois mois au Népal, avec sa mère, dans une maison louée par ses parents. Il ne pense plus qu’à vivre avec les moines, au point de fuguer, armé de sa valise à pique-nique remplie de jouets : il déménageait au monastère ! Mais il ne suffit pas qu’un petit vienne dire « je suis la réincarnation d’untel » pour qu’on lui emboîte le pas ! Même quand les parents poussent un enfant à cette démarche, les maîtres ne le reconnaissent pas pour autant. Ils doivent avoir, eux aussi, la conviction profonde que l’enfant est bien un tulkou. C’est ce qui s’est passé pour Ananda.


Il a fallu deux années de plus au petit garçon obstiné pour faire céder ses parents. L’année de ses 3 ans, après plusieurs allers-retours entre l’Inde et l’Occident, ils ont accepté que leur fils aille vivre dans un monastère, à côté de Darjeeling. C’est Kalou Rinpoché, un maître assez proche du « prédécesseur » de Trinlay, qui s’est occupé de lui. « Il m’a guidé vers un monde d’une très grande spiritualité, et confronté à de nombreuses questions existentielles : qu’est-ce que la vie, la mort, et comment y faire face ? Les moines ont eu la bonté de me donner une instruction extrêmement profonde… » Le petit garçon, ravi d’exhiber enfin le crâne rasé et la robe bordeaux qu’il a tant réclamés, vit avec eux une grande partie de l’année, et le reste du temps avec ses parents entre la France et les Etats-Unis. Il apprend à lire et à écrire en tibétain, et reçoit l’éducation réservée aux tulkous, « assez soutenue en bouddhisme et en méditation… », en même temps que les autres élèves, tous adultes. « La théorie m’ennuyait un peu, mais dès qu’il y avait des histoires, j’adorais ça et je retenais absolument tout. »


Les visiteurs sont impressionnés par ce tout petit enfant qui met autant de sérieux à suivre les enseignements que de malice à faire des blagues, rire et gambader dans les couloirs du monastère. Sa mère, installée à deux pas, vient le voir presque tous les jours. Ça lui convient parfaitement : seul enfant, occidental de surcroît, dans un monde d’adultes, Trinlay est très heureux… « La discipline était ferme, mais j’aimais bien jouer des tours. Tout le monde était adorable avec moi. J’avais conscience d’avoir une enfance hors du commun. Quand je voyais d’autres enfants, je ne les comprenais pas toujours. J’aimais bien les fréquenter, partager avec eux mes jouets et mes bonbons, mais je ne m’intéressais pas souvent aux mêmes choses qu’eux. C’était une existence très contrastée, entre l’Inde et le Népal où j’étais confronté à une certaine pauvreté, et mes voyages dans le confort de l’Occident… »


De son enfance, Trinlay ne garde pas de souvenirs douloureux, malgré une vie plus que spartiate – nourriture frugale et toilette à l’eau froide… « Je me suis endurci : une vraie boule d’énergie ! J’avais toujours les joues rouges, et jamais froid. Et quand les séances de méditation me semblaient trop longues – quatre ou cinq heures, c’est beaucoup pour un enfant de 3 ans –, je sortais jouer… » Il hésite pourtant à raconter, par peur de passer pour un phénomène de foire. « Quand j’ai eu 12 ans, j’ai décidé de ne plus répondre aux journalistes occidentaux. Ils ne comprenaient pas la vie que je menais, les questions qu’ils me posaient n’avaient pas de sens pour moi. Ils pensaient que j’étais manipulé par une sorte de secte. Ils ne voulaient pas entendre ce que je leur expliquais, et ils écrivaient des choses qui étaient leur fantasme et non ma réalité. »


C’est pour expliquer cette réalité qu’il consent, aujourd’hui, à parler un peu de lui. « Ça peut sembler difficile à comprendre pour un non-pratiquant, mais depuis mon plus jeune âge, j’ai conscience de la discipline morale dans laquelle je me suis engagé. La pratique spirituelle me semble être la chose la plus essentielle pour moi-même et pour les autres. Déjà dans mon esprit d’enfant, c’était ce qu’il y avait de plus important ; il me semblait que c’était quelque chose de magique qui me permettrait d’accéder à la liberté, de vaincre la vie, la mort, d’exaucer tous mes rêves… »


Avant de mourir, le « prédécesseur » de Trinlay a écrit un poème à son ami Kalou Rinpoché, pour lui annoncer qu’il allait renaître en Occident et lui demander de l’accompagner là-bas, le temps venu. Résultat : le vieux maître a traîné son jeune élève dans tous les centres bouddhistes d’Occident. Entre l’année de ses 6 ans et celle de ses 9 ans, ils ont fait trois fois le tour du monde ! A la fin du périple, Trinlay rentre en Inde et suit une année d’enseignement avec d’autres enfants tulkous, avant de venir s’installer en Isère, dans un centre bouddhique, auprès du lama Teunsang. Il apprend à lire et à écrire le français. C’est le début de sa vie d’aujourd’hui, qui balance harmonieusement entre ici et là-bas.


« Dans le bouddhisme, on dit que la vie présente de tout être sensible n’est pas sa seule vie : il en a vécu d’autres par le passé et en vivra d’autres dans le futur. Un tulkou est un pratiquant bouddhiste ayant déjà parcouru un certain chemin dans ses vies antérieures. La qualité de sa pratique spirituelle le rend libre de choisir sa destinée. C’est ainsi que j’ai pu décider de renaître dans une famille capable d’accepter mon cheminement. Mes parents auraient pu me garder avec eux en Occident, même si c’était en total décalage avec ce à quoi j’aspirais. Je pense que j’aurais été très, très malheureux. Je n’ai jamais douté d’être un tulkou. Jamais. Je me suis posé la question beaucoup de fois. J’ai été amené à étudier la philosophie bouddhique très jeune. Comme ce n’est pas du tout une tradition dogmatique, qui dit ce qu’il faut croire pour obtenir la rédemption, j’ai aussi pu étudier les philosophies occidentales, du nihilisme au matérialisme, en passant par ceux qui croient qu’il n’y a pas de réincarnation et que la pensée n’est que le produit dérivé du corps, comme la lumière ne serait que le produit dérivé de la bougie. J’ai comparé mon expérience et mes inclinations à toutes ces questions. Elles m’ont confirmé dans cette réalité. A l’âge où la plupart des adolescents n’ont pas très envie de travailler et d’étudier, j’étais passionné par ce que j’avais à découvrir de l’Occident. J’ai préparé le baccalauréat français, et puis je suis allé à la fac, à Paris. J’ai voulu comprendre les philosophies occidentales. J’ai toujours pensé que ma responsabilité de tulkou, c’est de faire quelque chose pour participer à rendre le monde meilleur, en inspirant aux gens qui m’entourent le développement de la tendresse et de la compassion, si essentielles dans le bouddhisme. C’est ce à quoi j’aspire depuis toujours. Si je fais preuve de persévérance, peut-être que j’arriverai à certains résultats. »


De l’organisation de sa vie quotidienne, le jeune maître préfère ne rien dire ; il estime que cela ne regarde que lui et choisit de parler de ce qui le préoccupe vraiment. « L’Occident est en overdose de matérialisme. Bien que la réponse proposée par le bouddhisme à nos questionnements existentiels se fonde sur un enseignement vieux de deux mille six cents ans, elle reste moderne et pertinente. On a l’impression que l’on ne peut pas être heureux seul et que l’on a besoin de quelque chose d’extérieur pour arriver à la plénitude. On la met au conditionnel, alors que le Bouddha dit qu’elle est déjà en nous, et que c’est à nous de la découvrir, de l’exprimer, de l’amener à maturation. C’est un potentiel qui ne dépend d’aucun dieu ni de personne d’autre que nous. »


Trinlay a choisi de ne pas être moine, ce qui l’aurait contraint aux règles monastiques, très strictes. Son statut de tulkou ne lui interdit pas de fonder une famille. « En ce moment, je passe quatre ou cinq mois par an à voyager, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, à animer des conférences, voir des gens, donner des instructions méditatives, diriger des séminaires ; l’autre partie de mon temps, je parfais des recherches sur certains textes, et j’essaie de pratiquer, d’être en retraite et de faire des choses plus personnelles. Aujourd’hui, j’ai 29 ans. Ma vie m’amène à être un pont entre le bouddhisme et l’Occident, même si mon but ultime reste ma pratique personnelle. Je ne cherche pas à persuader qui que ce soit, je suis seulement un témoin qui donne à voir aux Occidentaux ce qu’est le bouddhisme. C’est une tâche ambitieuse, et je serai très, très heureux d’y parvenir, même un petit peu. »


La journée de Trinlay, 10 ans


Il peut sortir jouer quand les séances de méditation lui semblent trop longues. 6 heures : méditation personnelle. 7 heures : méditation en groupe. 8 heures : petit déjeuner. 9 heures : étude de textes bouddhiques. 11 heures : calligraphie, grammaire, littérature tibétaine. 12 heures : pause déjeuner. 15 heures : devoirs, études tibétaines ou occidentales. 17 heures : thé. 17 h 30 : anglais, français, études occidentales. 19 heures : méditation en groupe ou seul. 20 heures : dîner. 21 heures : pratique méditative. 22 heures : coucher.


Témoignage. Anne, sa mère : "Il n'en démordait pas..."


« Une mère cherche avant tout à assurer le bonheur de son enfant. Mon fils est né avec un destin qu’il fallait respecter. Tout bébé, il m’a dit : “Maman, je ne suis pas un garçon comme les autres. Je veux devenir moine.” Il n’en démordait pas… Comment ne pas l’entendre ? D’une certaine manière, j’étais absolument convaincue que confier Trinlay aux lamas, c’était lui donner la meilleure éducation possible.

Que pouvais-je lui offrir de plus ? Je connaissais du beau monde – des hommes politiques, des rock stars, des gens riches et puissants –, mais ils n’étaient pas franchement épanouis. En revanche, la clé du bonheur véritable, ces maîtres-là la possédaient. A n’importe quel moment, si j’avais senti que les choses se passaient mal, je l’aurais enlevé de là. Mais je vivais tout près de lui, et je savais qu’il était à sa place. J’admets que parfois il me manque, encore aujourd’hui, mais je suis fière du jeune homme qu’il est devenu. Son bonheur fait le mien et celui des autres. »


(Propos recueillis par Pamela White)


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