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Comment les bouddhistes célèbrent l'anniversaire du décès d'un maître accompli

Je vous livre ici un message de Thayé Dorjé, Sa Sainteté le XVIIᵉ Gyalwa Karmapa au sujet du parinirvâna de son enseignant, Sa Sainteté le XIVᵉ Kunzig Shamar Rinpoché.

Il est intéressant de voir le regard d'un maître bouddhiste sur la mort d'un autre maître.



Chers amis du Dharma, Demain marque le huitième anniversaire du parinirvana de feu notre enseignant, Sa Sainteté le XIVᵉ Kunzig Shamar Rinpoché et, comme chaque année, nous consacrerons cette journée à offrir des prières et à pratiquer des rituels dans nos différents monastères et centres du Dharma. En tant que pratiquants bouddhistes, nous avons l’habitude de commémorer de tels anniversaires et j’ai récemment réfléchi à une question que je trouve intéressante : pourquoi commémorons-nous les « anniversaires de décès » des grands bodhisattvas ? Dans le cas des grands êtres de ce monde, nous profitons de ces anniversaires de décès pour célébrer leurs grandes actions : les choses qu’ils ont accomplies, les accomplissements qu’ils ont obtenus au cours de leur vie. Et c’est presque avec un sentiment de regret que nous reconnaissons qu’en fin de compte – quelle que soit leur grandeur – ils ont dû, eux aussi, succomber à la vieillesse, à la maladie et à la mort. Nous pensons qu’il est dommage qu’ils ne soient plus parmi nous et le fait de commémorer les anniversaires de leur mort devient presque une façon d’essayer de les immortaliser pour qu’ils puissent, au moins, vivre dans notre mémoire pour toujours. Vu de l’extérieur, nous pourrions penser qu’il en va de même pour les pratiquants bouddhistes lorsqu’ils célèbrent les anniversaires du parinirvana de maîtres éminents, comme Sa Sainteté Shamar Rinpoché. Cependant, pour moi, il est évident que ce n’est pas le cas : nous ne commémorons pas ces anniversaires pour célébrer leurs accomplissements et essayer de les « immortaliser », en quelque sorte. Je considère plutôt de telles journées de commémoration comme une opportunité pour nous rendre lucides. Lucides à propos de quoi ? Lucides à propos de l’impermanence, de la nature toujours changeante de la vie dont la mort fait tout autant partie que la naissance. En considérant les choses sous cet angle, le point important ne porte même pas sur qui est décédé, – c’est comme l’aiguille d’une boussole qui indique le Nord ou comme le doigt qui pointe la lune. En d’autres termes, c’est juste pour que vous puissiez vous orienter, mais une fois que vous vous êtes orientés, que vous savez où est le Nord ou dans quelle direction se trouve la lune, vous devez aller plus loin : il faut regarder la lune elle-même, plutôt que le doigt qui la montre. Dans cette analogie, la lune ne représente rien d’autre que la mort. Que vous soyez éveillés ou non, l’apparence est l’apparence – et l’apparence de la mort est là pour chacun d’entre nous. Une façon de décrire cela est qu’elle est inévitable, inéluctable. Une autre façon de le dire est qu’il n’y a rien à y faire. Une autre façon encore de le dire serait qu’elle fait partie de la vie, qu’elle est la vie. C’est le cœur même du changement, – qui est un autre terme pour la vie, car la vie est changement. Ainsi, selon ma compréhension, la principale raison pour laquelle nous « célébrons » le parinirvana d’un être réalisé est d’essayer de développer une perspective ou une vision saine de la vie, à la fois en tant qu’individus et en tant que société. La société est en fait l’une des choses les plus uniques concernant l’être humain. Seuls les humains sont capables de créer une structure sociale sophistiquée – et même si elle est conceptuelle, c’est une de nos caractéristiques les plus étonnantes. Cela dit, l’un des défauts de notre structure sociale est que, le plus souvent, un certain nombre de choses ont tendance à être poussées sous le tapis. En particulier, la chose que nous essayons toujours de chasser de nos esprits est l’idée de la mort. Il est évident que la mort elle-même ne peut être évitée, comme tout individu sain d’esprit le comprendra, mais ce que nous pouvons éviter, et que nous évitons le plus souvent, c’est l’idée de la mort. Ceci est évidemment fait avec l’intention la plus innocente, mais essayer de pousser une partie aussi fondamentale de la vie sous le tapis est-elle vraiment l’approche la plus sage ? Après tout, nous savons que la mort fait partie de la vie, alors pourquoi devrions-nous essayer de l’éviter ? Puisqu’elle est inévitable, pourquoi ne pas y penser et en parler maintenant, plutôt que plus tard ? Nous pourrions donc choisir de commémorer cette journée avec un sentiment de saine curiosité ; nous pourrions la célébrer parce que nous sommes curieux de la mort, curieux du changement, curieux de la nature de la vie. En d’autres termes, nous pourrions profiter de cette occasion pour soulever le tapis que nous avons utilisé pour dissimuler la mort et l’impermanence. De ce point de vue, le fait de nommer cet événement « commémoration du parinirvana » de tel ou tel être éminent n’est rien d’autre qu’un moyen habile. Nous n’alarmons pas la société en disant directement que tout le monde va tomber malade, devenir vieux et finalement mourir. Au contraire, nous utilisons la commémoration du parinirvana pour révéler habilement certains sujets considérés comme socialement inacceptables ou gênants. Dans notre société moderne, nous abordons de nombreux sujets qui étaient autrefois considérés comme gênants ou même tabous, mais la mort et l’impermanence n’en font pas partie. Pourtant, si nous voulons que notre société soit saine, il est essentiel que nous nous penchions sur tous les aspects fondamentaux de la vie. Après tout, si nous pouvons parler de la naissance, pourquoi ne pourrions-nous pas parler de la mort ? Si célébrer la naissance est sain pour la société, célébrer la mort devrait l’être aussi – d’autant plus que la mort ne se produit pas uniquement à la fin de la vie, mais qu’elle commence dès la naissance. C’est donc probablement l’une des raisons pour lesquelles, en tant que bouddhistes, nous commémorons les parinirvanas. En dehors des prières ou des rituels que nous pouvons accomplir en ce jour, je pense que ce qui est vraiment important, ce sont les choses informelles qui peuvent avoir lieu. Nous devrions vraiment utiliser cette journée pour nous ouvrir à la réalité de l’impermanence et de la mort, et si cela vient naturellement et que nous nous sentons inspirés, nous pourrions même vouloir partager un mot ou deux avec les autres sur la nature toujours changeante de la vie, sur à quel point la maladie, la vieillesse et la mort sont curieuses. Bien entendu, le but n’est pas d’avoir peur, ni de créer la panique, ni de se forcer à être « prêt à mourir », comme si nous allions au combat. Il s’agit plutôt de réduire la tension, les blocages autour du thème de la mort, de créer un sentiment de liberté autour de ce thème, de nous faire sentir que c’est bien, que c’est bien d’en parler. Et plus nous le ferons, moins ce sera un tabou. Donc, si nous pouvions utiliser cette journée pour en parler un peu, juste une fois par an, la tension et la peur qui l’entourent s’estomperont progressivement. En gardant ces pensées à l’esprit, peut-être pouvons-nous commémorer ce jour anniversaire non pas comme un sinistre jour de deuil, mais comme une grande opportunité – un jour où nous pouvons être vraiment libres de penser et de parler de l’un des aspects les plus étonnants de la vie ; un jour de grand changement ; un jour de grande impermanence. Avec mes prières, Thayé Dorjé Sa Sainteté le XVIIᵉ Gyalwa Karmapa

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